Un jour, Hugues me dit : » comment fait-on du bon vin, Monsieur ? »
…. !
J’ai balbutié quelques vagues formules d’œnologie. Je m’en veux maintenant. C’était il y a bien longtemps, dans les années 80 lorsque je commençais une carrière de formateur. J’aurai dû lui tenir le discours suivant à ce cher Hugues, fils de viticulteur :
» Pour faire du bon vin, comme tu le sais, il faut d’abord du beau raisin. Pour avoir du beau raisin, il faut que le temps si prête mais il faut aussi cultiver comme il se doit ta parcelle. Pour cultiver ta vigne, il te faudra des notions d’agronomie et de biologie. Pour comprendre la plante et le sol, la chimie et la physique te sauront nécessaires ainsi que toutes les lois qui régissent la vie sur cette terre. Et puis, il faudra que tu apprennes de nombreuses techniques : la taille, le labour, la protection contre les champignons et les insectes…
Pour saisir tout cela, il te faudra être un grand esprit !
Alors peut-être tu feras du bon vin si le mildiou a laissé suffisamment de feuilles à tes ceps.
Il faudra ensuite que tu vinifies le raisin et que tu choisisses les meilleures levures, que tu ne rates pas la fermentation alcoolique et puis l’élevage de ton produit.
Alors peut être tu feras du bon vin si l’acide acétique ne se répand pas dans tes fûts et si tu as su réparer le pressoir qui est tombé en panne, comme fait exprès, le jour des vendanges.
Mais ce n’est pas tout de faire du bon vin, faut-il encore le vendre, et si possible à un bon prix !
Pour le vendre correctement, il faut être un bon gestionnaire et un bon commercial. Pour être un bon gestionnaire, il faudra faire un peu de comptabilité et d’économie et pour échanger avec tes clients, je te conseille de maîtriser quelques rudiments de français et même d’anglais.
Avec tous ces savoirs, alors peut être, tu feras du bon vin…
Peut-être…
Mais je pense que tu ne réussiras pas ta vinification si tu restes enfermé dans ces techniques professionnelles.
Pour faire du bon vin, je crois qu’il faudra aussi connaître la vie et les personnes qui t’entourent avec leurs expériences, leurs réussites, leurs échecs, leurs caractères, leurs problèmes quotidiens. Il faut que tu penses à ton terroir et à son devenir, à la vie simplement, celle de tous les jours, à ce qui fait la vie de tous les jours…
Il faut que tu penses à tes ampoules qui saignent quand tu as taillé tout l’hiver, à la sueur dans ton dos à cause de la lourde hotte pleine de raisins, aux larmes de désespoir lorsque ton meilleur tonneau de rosé est devenu aigre, à ta satisfaction d’un travail bien fait, à l’amour que tu portes à ta vigne, à tes proches, à tes collègues, à ton village…
Alors, là peut-être Hugues, tu feras du bon vin !
Tu vois nous partirons de l’étude de la vigne mais nous ne nous arrêterons pas aux mécanismes du vivant. Nous irons plus loin, beaucoup plus loin. La vigne et le vin t’intéressent, moi aussi, ça tombe bien. Ils seront le point de départ d’une nouvelle aventure… »
Voilà ce que j’aurai dû lui dire à Hugues et non pas essayer d’étaler quelques connaissances qu’il doit, de toute façon, avoir oublié maintenant.
Peu importe, l’alternance est venue compenser mes carences de jeune enseignant et a parfaitement remplie son rôle… Hugues fait maintenant du très bon vin !