Histoire de la formation alternée sous statut scolaire

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La formation initiale va de l’enseignement scolaire (primaire, collège, lycée) jusqu’à l’enseignement supérieur.  

Traditionnellement, cette formation initiale, même pour l’enseignement professionnel, donne une priorité aux études abstraites.  

Le concept d’alternance et d’enseignement alterné en France est abordé d’abord dans des colloques de réflexion consacrés à l’enseignement supérieur : celui d’Amiens en mars 1968, lors d’un congrès de l’OCDE à Versailles où le discours d’Olof Palme, ministre de l’Éducation en Suède sur une éducation alternée restera une référence, d’Orléans en 1970, puis celui de Rennes enfin en 1973. Pourtant l’alternance existe déjà dans des filières prestigieuses depuis longtemps : la formation des infirmiers et des médecins, les Ecoles normales, les Instituts universitaires de technologie, les écoles d’ingénieurs… mais le système éducatif semble ignorer cette réalité.  

La première reconnaissance de l’alternance en tant que telle dans l’enseignement scolaire remonte à la loi du 2 août 1960 sur l’enseignement agricole qui fait une toute petite place au « rythme approprié » des Maisons familiales rurales (voir encart ci-dessous).  

En 1972, une circulaire du ministère de l’Éducation nationale met en place des classes préparatoires à l’apprentissage (CPA) sous statut scolaire.  

Il faut attendre 1979 pour que Christian Beullac, ministre de l’Éducation, qui vient de l’industrie, élabore un projet de loi, après une négociation entre l’État, le Conseil national du patronat français (CNPF) et la puissante Fédération de l’éducation nationale (FEN), qui entend développer l’alternance dans le système éducatif. Devant la levée de boucliers des autres syndicats, le projet est bloqué d’autant plus que le secrétaire d’État à la formation professionnelle, Jacques Legendre, annonce dans le même temps un projet de loi sur la formation par alternance des jeunes. De toute cette agitation, il ne restera que les séquences éducatives en entreprise et une certaine idée du partenariat école-entreprise.  

Entre-temps, Michel Rocard, alors ministre de l’Agriculture, réorganise en 1984 totalement l’enseignement agricole et l’alternance scolaire des Maisons familiales rurales bénéficie enfin d’une véritable reconnaissance.  

En 1985, Roland Carraz, secrétaire d’État auprès de Jean-Pierre Chevènement, crée le baccalauréat professionnel, à la demande de l’UIMM, malgré les fortes réticences des syndicats enseignants – le Syndicat des enseignants du second degré parle de bac au rabais, la CGT et le SNETAA[1] craignent de se mettre à dos une partie de leurs adhérents, les professeurs techniques-. Ce baccalauréat pose, pour la première fois à l’Education nationale, le principe d’une formation en entreprise intégrée dans le cursus de formation. C’est là aussi une révolution. L’alternance entre enfin à l’Éducation nationale.  

La loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989 dite loi Jospin enfonce le clou et prévoit l’organisation obligatoire de périodes de formation en entreprise dans le cadre de toutes les formations à finalité professionnelle et technologique.  

Le 5 février 1992, une circulaire relative à l’orientation vers les formations technologiques et professionnelles, insiste sur le rôle de l’alternance sous statut scolaire et en apprentissage et sur la nécessaire collaboration avec les milieux professionnels.  

Le 20 décembre 1993, la loi sur l’emploi introduit une nouveauté : les classes d’initiation préprofessionnelles en alternance destinées à des jeunes de quatorze ans, implantées en Lycée professionnel, en CFA ou en collège.  

Alain Juppé installe une commission présidée par Roger Fauroux qui lui remet un rapport le 20 juin 1996. Dans celui-ci on peut lire : l’alternance, c’est-à-dire la mise en situation de responsabilité professionnelle de grands adolescents ou de jeunes adultes, est un moyen efficace d’aider à mûrir une génération qui a parfois tendance à s’attarder dans l’enfance.[2] Le président de la commission signale qu’à son avis deux millions de postes de formation en entreprise annuellement pourraient être disponibles.  

En 2000, une charte de l’enseignement professionnel intégré est élaborée et insiste sur les nécessaires liaisons avec l’entreprise. Un décret du 16 mars 2000 met en place le Haut-comité éducation économie emploi.  

En 2007, une circulaire du ministère de l’Éducation nationale créée le dispositif d’initiation aux métiers par alternance (DIMA) pour des jeunes âgés de 15 ans.  

En 2008, progressivement, l’ensemble des filières professionnelles sont rénovées et le baccalauréat professionnel se faite en deux ans après une seconde professionnelle.  

Dans ce cheminement de l’enseignement scolaire, l’alternance est annoncée, affichée comme nécessaire mais dans la pratique sa mise en œuvre reste marginale. En parallèle de la lente progression de l’apprentissage, les élèves en lycée professionnel plafonnent à 700 000.  

Le cas tout à fait exceptionnel et emblématique des Maisons familiales rurales : De leur création jusqu’en 1960, les Maisons familiales rurales fonctionnent dans le cadre de la loi de 1929 sur l’apprentissage agricole. Les Maisons familiales d’apprentissage rural (telle est leur dénomination à l’époque) s’adressent donc aux enfants d’agriculteurs, après l’école primaire. Elles reçoivent peu de subventions et ont une grande autonomie. Progressivement, la législation les concernant va être complétée. En 1951 leurs élèves peuvent bénéficier de bourses. En 1953 une loi de finances crée une ligne pour les subventions d’équipements et leur permet de recevoir la taxe d’apprentissage. En 1955 un arrêté définit les conditions de reconnaissance des établissements par l’État, puis en 1956 sont précisés les qualifications de leurs formateurs. Malgré ces spécifications juridiques, rien de global n’est décidé quant à leur prise en charge.  

Le Général de Gaulle arrivant au pouvoir, l’ensemble du dispositif législatif est mis en chantier. La politique de l’école et de l’agriculture se décide autant à l’Élysée et à Matignon que dans les ministères. À l’Éducation nationale, la réforme du cycle secondaire, dite réforme Berthoin[3], prévue par les ordonnances du 6 janvier 1959, a pour but de faire accéder tous les élèves au second degré. Le cycle long se fait dans les lycées, le cycle court dans les collèges. La scolarité obligatoire doit être prolongée jusqu’à 16 ans, à partir de 1967. Les établissements secondaires se multiplient. En même temps, la loi du 2 août 1960 organise l’enseignement et la formation professionnelle agricole. Elle est calquée sur ce qui a été prévu en 1959 par la rue de Grenelle. L’enseignement agricole reste autonome, mais s’intègre au système éducatif qui se met en place. Des collèges et des lycées agricoles sont institués. Les projets de l’État pourraient être catastrophiques pour les Maisons familiales qui veulent continuer à proposer des parcours différenciés aux jeunes, dès l’âge de 14 ans, et qui revendiquent un droit à la différence et un statut qui reconnaît leurs particularités associatives et pédagogiques. Elles se mobilisent en conséquence auprès des élus et cette mobilisation permettra de faire inscrire la notion de « rythme approprié » dans la loi, ce qui est une première forme de reconnaissance. Malgré cette avancée, la situation financière des Maisons familiales reste très précaire du fait de financements en décalage complet avec les moyens nécessaires à la mise en œuvre des formations, mais plus profondément aussi parce qu’une une partie de l’administration refuse l’alternance. Pour dépasser cette situation, l’Union propose, quelques années plus tard à Jacques Chirac[4], alors ministre de l’Agriculture, une convention qui fasse une place au principe de l’alternance. Les discussions traînent en longueur.  

En parallèle, les Maisons familiales diversifient leurs formations. En 1973, un essai d’école technique privée par alternance est tenté en Vendée, mais n’obtient pas de reconnaissance juridique de l’Éducation nationale. D’autres démarches s’engagent dans ce sens dans plusieurs départements. Une décision de ce ministère, publiée au Journal officiel, après de nombreuses procédures et de nombreux recours, met un terme malheureux à ces initiatives. L’Éducation nationale ferme la porte aux Maisons familiales, ainsi qu’aux formations par alternance par la voie scolaire et se prive là, sans doute, d’une innovation qui aurait pu être majeure dans son évolution future.  

Après de nombreux contacts, manifestations, pressions, le 13 mars 1975 est enfin signé un accord entre le ministère de l’Agriculture et l’Union nationale. Cette convention est ensuite annulée, par décision du Conseil d’État, le 20 janvier 1978, après un recours déposé par le SNETAP[5]. Un décret du 15 mars 1978 vient corriger cette annulation. Enfin, une loi du 28 juillet 1978 complète les dispositions de celle du 2 août 1960. Le droit à la différence, notre convention a essayé de l’exprimer. Il faut aller plus loin. Il faut à la fois concilier cette fonction de service public à laquelle nous répondons et cette possibilité du privé d’entreprendre, d’essayer et de risquer disait André Duffaure[6].  

François Mitterrand est élu en 1981. C’est Henri Nallet[7] qui suit les questions agricoles à l’Élysée. Lorsque Michel Rocard est nommé à l’Agriculture et prépare les lois de 1984 sur l’enseignement agricole, les échanges sont fréquents au niveau de son cabinet. Les responsables des Maisons familiales travaillent dans un premier temps avec Michel Gervais[8], directeur général de l’enseignement et de la recherche, et les conseillers du Président de la République, du Premier ministre et du ministre de l’Agriculture, respectivement Henri Nallet, Yves Lyon-Caen, Jean-Paul Huchon, puis avec le conseiller juridique du ministre, Guy Carcassonne[9]. Le Parlement joue aussi un rôle important.  

Des personnalités comme Albert Vecten[10] suivent avec attention le dossier. La loi du 31 décembre 1984 est votée sans opposition au Parlement. Le groupe communiste s’abstient, sous l’influence de Paul Jargo[11], ancien directeur de la Maison Familiale de Crolles et sénateur communiste de l’Isère. C’est une véritable victoire. L’association est reconnue, l’alternance, scolaire, est possible. Les Maisons familiales deviennent enfin des partenaires à part entière de l’enseignement agricole, quasiment cinquante ans après leur naissance. La loi les fait participer au service public et leurs relations avec l’État deviennent contractuelles :  

Les associations ou organismes offrant des formations à temps plein, en conjuguant selon un rythme approprié les enseignements théoriques et pratiques dispensés, d’une part, dans l’établissement même et, d’autre part, dans le milieu agricole et rural…[12].  

Comme souvent, les lendemains de fête sont douloureux.  

Les décrets d’application tardent. La signature des contrats traîne jusqu’en 1989. L’État ne respecte pas ses engagements financiers. Vingt ans après encore, en janvier 2004, le financement n’est toujours pas à la hauteur de ce que le législateur avait prévu. Le texte d’un accord est proposé le 6 avril 2004. Il chiffre l’écart entre le financement tel qu’il devrait être, en application de la loi, et ce qu’il est dans la réalité et fixe une méthode de calcul transparente d’actualisation.  

Ainsi, il a fallu quasiment soixante-dix ans pour que l’État trouve et fasse une place aux Maisons familiales rurales au sein du système éducatif français. Elles restent les seules aujourd’hui à pouvoir proposer, dans le cadre de l’enseignement agricole – car l’Éducation nationale n’a pas de dispositif comparable – des parcours de formation scolaire par alternance. Il s’agit d’une exception qui concerne 51 000 élèves sur les 12 millions scolarisés en France.  

Histoire de la formation alternée sous statut scolaire, Patrick GUES, 2009


 [1] Syndicat de l’enseignement technique et professionnel, et des personnels d’éducation, action, autonome.  

[2] Roger Fauroux, Pour l’école, Calmann-Lévy, juin 1996, page 24.  

[3] Jean-Marie Berthoin (1893-1977) : homme politique français, préfet, ministre de l’Éducation nationale.  

[4] Jacques Chirac : né en 1932, homme politique français, a été de nombreuses fois ministre puis Premier ministre de 1974 à 1976 et de 1986 à 1988. Président de la République de 1995 à 2007.  

[5] SNETAP : Syndicat national de l’enseignement technique agricole public.  

[6] Cité par Daniel Chartier dans Enseignement agricole et formation des ruraux, bulletin de la DGER, septembre 1985, tome II, page 69.  

[7] Henri Nallet : né en 1939, est chargé de mission à la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles de 1966 à 1970. Il est nommé ministre de l’Agriculture de 1988 à 1990, avant d’être ministre de la Justice de 1990 à 1992.  

[8] Michel Gervais : directeur de l’enseignement et de la recherche au ministère de l’Agriculture dans les années 1980. Auteur de l’Histoire de la France rurale.  

[9] Guy Carcassonne : né en 1951, professeur de droit constitutionnel, conseiller juridique à l’Agriculture puis membre du cabinet de Michel Rocard lorsque celui-ci fut Premier ministre.  

[10] Albert Vecten : né en 1926, agriculteur, sénateur de la Marne de 1983 à 2001.  

[11] Paul Jargo : 1925-2003, sénateur de 1974 à 1983.  

[12] Article 5 de la loi du 31 décembre 1984.

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